top of page

Les écrits du Professeur Jean Suret-Canale sur Sékou Touré: "C'est un homme qui s’est fait lui-même"


Préface du livre Ahmed Sékou Touré - l'homme et son combat anticolonial (1922-1958) : Ecrit par JEAN SURET-CANALE, géographe, historien de l'Afrique de l'Ouest, professeur de nationalité française


Il faudra encore sans doute du temps pour que le parcours politique et l’action du président Ahmed Sékou Touré puissent faire l’objet d’une analyse parfaitement sereine. Peu d’hommes politiques contemporains ont soulevé autant de passion, pour ou contre. Contre lui s’est élevé un torrent de haine et de calomnies.

Comprenons-nous bien : pour lui, pour tout autre, toute critique est recevable, mais à condition qu’elle soit étayée sur des faits.

Or, dans son cas, il va être, dès l’origine, « diabolisé » par les coloniaux et leurs continuateurs : son aspiration à une indépendance réelle des peuples d’Afrique, une indépendance excluant toute forme de néo-colonialisme ou de « tutelle », fut-elle « internationale », était insupportable. Il a été de ce fait dénoncé comme un « communiste », « totalitaire », avec toute la phraséologie habituelle. Tel voyageur débarquant à Conakry au lendemain de l’indépendance, ne voyait-il pas dans les casquettes qui avaient remplacé les képis le signe évident du totalitarisme triomphant. Mais, très vite, il se verra aussi accusé « de gauche », de compromission avec les forces du capitalisme et de l’impérialisme qu’il dénonçait, de conduite d’une politique qui n’aurait différée en rien de celle pratiquée en Côte d’Ivoire ou au Sénégal.

Dans un cas comme dans l’autre, le préjugé idéologique joue à plein et dispense de tout examen objectif des faits et actes de celui qui est accusé.[...]



De cette personnalité, je voudrais souligner ici, en y ajoutant des éléments relevant de mon témoignage personnel, quelques aspects fondamentaux trop souvent obscurcis.

Une première remarque : Sékou Touré fut, en tout point, « Un Self-made man », un homme qui s’est fait lui-même. Le régime colonial n’offrait aux « indigènes » qu’une voie de formation intellectuelle étroite, les conduisant d’ailleurs exclusivement aux fonctions subalternes de l’appareil colonial : instituteur « africain », médecin « africain », commis expéditionnaire, étaient les « bâtons de maréchal » offert à l’ambition des « sujets » français. Le cursus : école régionale, école primaire supérieure, et pour une mince élite, école normale William Ponty et l’école de médecine ne conduisaient que là.[...]

En 1946-1947, enseignant au lycée Van Wollenhoven je n’avais dans ma classe de première classique que trois élèves africains sur un total de quarante.[...]



Sékou Touré, malgré ses incontestables capacités scolaires se vit fermer même cette voie étroite. Il se forma entièrement lui-même, comme le texte qui suit le montre. Il fut un « autodidacte » au plein sens du terme, un terme que certains de ses adversaires lui jetèrent à la tête avec un mépris condescendant. Il fut strictement son propre maître ce qui n’est pas fréquent. Certes, il a emprunté beaucoup, à travers ses lectures, à l’analyse marxiste, dont l’explication du phénomène colonial répondait à sa propre expérience (ce qui fut le fait, d’ailleurs, de très nombreux autres leaders nationalistes du « tiers-monde »). Mais il ne s’est jamais rallié à aucune doctrine toute faite, et a poursuivi et développé dans tous les domaines ses propres analyses et interprétations personnelles. Ce qui le situe à une infinie distance de tant d’intellectuels se targuant de leurs cursus universitaires, mais qui ne font que répéter, pas toujours avec talent, ce qu’ils ont entendu ailleurs.



Il n’a eu, ni maître à penser, ni « inspirateur », ni « éminence grise » (ou « blanche »), ou « noire ». Personne n’a jamais inspiré et encore moins dicté ses décisions ; personne n’a écrit pour lui ses discours. Ses discours, soit dit en passant, n’étaient presque jamais écrits à l’avance ; mais ils n’étaient pas pour autant improvisés. Ils étaient le fruit d’une longue réflexion et préparation intérieures, strictement personnelle.


Seconde remarque : le dévouement à la cause du peuple, l’intégrité et le total désintéressement personnel de Sékou Touré ne peuvent être mis en doute. Et c’est ce que beaucoup ne lui pardonnent pas, voyant dans son exemple une critique implicite de leur propre comportement.

Son action n’a jamais été inspiré par la recherche d’un avantage personnel. S’il avait suivi, après 1958 la voie empruntée par la plupart des chefs d’Etat africains, ce que son autorité conquise dans le combat pour l’indépendance lui aurait permis de faire, il aurait eu la vie plus facile et plus confortable !

Certes, il a dû parfois ruser, accepté des compromis. Et ceux-ci ne sont déshonorant lorsqu’ils ne sont qu’un moyen et non une fin.[...]



Jusqu’à ses derniers jours, il vécut dans la plus extrême simplicité, et ne puisa jamais dans les ressources publiques pour se livrer à des dépenses personnelles somptuaires, encore moins pour se constituer des comptes ou des placements à l’étranger !

Et c’est cela encore que beaucoup ne lui pardonnent pas, y voyant un reproche vivant à leurs propres comportements.

Il consacra sa vie et tous ses moyens à ce qui lui paraissait sa tâche historique, l’émancipation de l’Afrique et, au premier chef, celle de la Guinée


Les révolutionnaires du groupe de Casablanca - de gauche à droite : Kwame Nkrumah (Ghana), Mohamed V (Maroc), Gamal Abdel Nasser (Egypte), Ahmed Sékou Touré (Guinée), Modibo Keita (Mali)



Son combat de la fin des années 40 à 1958, combat rude et sans merci, fut en même temps un combat un parcours triomphal qui le conduisait dès 1956 à une prise de pouvoir de fait, à la base coexistant à un pouvoir colonial toujours présent, avec ses administrateurs, ses gendarmeries, son armée mais ayant perdu toute prise sur la population. C’est ce qui rendit possible le succès écrasant du « NON », c’est-à-dire de choix de l’indépendance, lors du referendum constitutionnel du 28 septembre 1958. Alors qu’au Niger et en côte française des Somalis (aujourd’hui République de Djibouti), où les gouvernements élus de la loi-cadre avaient également appelé a voté « non », l’administration coloniale mettait aussitôt ces gouvernements hors d’état d’agir, et « organisait » le vote avec les moyens habituels (bourrage des urnes, procès-verbaux trafiqués etc.), elle fut impuissante en Guinée.



Après avoir gagné l’étape de l’indépendance politique, il voulut réaliser celle de l’indépendance économique. Il ne put y réussir, écrasé par le talon de fer du système économique et financier international, et des puissances qui lui sont attachées.

Mais ce système conduit aujourd’hui le monde à la ruine et au chaos. Si ce monde survit, il ne pourra le faire qu’en réalisant cette émancipation économique des travailleurs et des peuples qu’il avait voulue.


Sources:

extrait des écrits de Jean Suret-Canale, Préface du livre de Sidiki Kobélé KEITA intitulé : Ahmed Sékou Touré – L’homme et son combat anti-colonial (1922-1958), Edition S.K.K – Conakry

images : RVD-TV



Par l'équipe de Réalité et Vérité Désormais RVD-TV

18 vues0 commentaire

Comentarios


Nous écrire...

Merci pour votre envoi !

©2022 par Réalité et Vérité Désormais RVD-TV

bottom of page